Football - RC Lens : où sont les millions de Mammadov ?
Publié le 09/08/2014
PAR OLIVIER BERGER - PHOTOS JOHAN BEN AZZOUZ
Réagir
Envoyer par e-mail
Le journal du jour à partir de 0,79 €
Hafiz Mammadov a longtemps prospéré à l’ombre du pouvoir en Azerbaïdjan, 127e pays sur 177 à l’index de la corruption de Financial Transparency. Il a bâti depuis 1998 un conglomérat, Baghlan Group, qui rayonne dans le pétrole, le gaz mais aussi dans les transports (trains, taxis, bus), les travaux publics… Seulement, l’homme apparaît plus fragile que prévu, comme le soulignent ses actuelles difficultés financières. Passagères ?
Mammadov-JohanBenAzzouz.jpg
Imprimer
- A +
A lire aussi :
RC Lens : chronologie d’une descente aux enfers
1. Manne en mer Caspienne
En 2010, Hafiz Mammadov monte avec deux partenaires un énorme projet d’exploitation des champs pétroliers de Gum Deniz (4,5 millions de tonnes) et gaziers de Bahar (entre 18 et 25 milliards de mètres cubes) en mer Caspienne. Baghlan Group FZCO fonde une société partagée avec Greenfields Petroleum Corporation de Houston et Rafi Oil FZE de Bakou. Bahar Energy Limited (BEL), enregistrée à Dubaï, comptera sur 80 % des revenus, SOCAR, la société pétrolière d’État, 20 %.
Quand Rafi Oil se retire du projet en avril 2012, Baghlan Group Limited (la holding d’Hafiz Mammadov basée sur la zone franche Jebel Ali à Dubaï) fonce sur l’opportunité de racheter 33,33 % des parts pour 150 millions de dollars (112 M€). Mammadov a-t-il présumé de sa puissance, de ses ressources et de ses liquidités ?
2. Un emprunt risqué de 150 M$.
Sa filiale, Baghlan Group FZCO (dont le site Internet est curieusement en dérangement depuis peu), contracte un emprunt obligataire de 150 M$ le 27 juin 2012 à un taux hors norme de 14,75 % et une échéance rapide à trois ans (27 juin 2015). Ce produit risqué est contracté auprès d’Aquarius investments Luxembourg sur le marché des obligations des Îles Caïman. Il est suivi et garanti (bookrunning dans le jargon) par BNP Paribas et Pasha Bank (de la puissante famille Pashayev, nom de jeune fille de Mehriban Aliyeva, l’épouse du président de la République depuis 2003, Ilham Aliyev).
Le taux est usuraire, la confiance ne règne pas à l’évidence mais les soutiens restent solides…
3. Le défaut de décembre
Le 27 décembre 2013, Baghlan Group fait défaut à l’une des quatre échéances annuelles de l’emprunt, 19 M$ (18 871 875 $ exactement soit 14,06M€). On ne l’apprend que le 2 avril 2014 quand l’agence de notation Fitch dégrade soudain la note du groupe de Mammadov, de B à l’infamant RD (restricted default), cessant même sa notation. Au secours !
Peu avant, le 12 mars 2014, un courrier signé d’Hafiz Mammadov, président du conseil d’administration de Baghlan Group FZCO, tente de rassurer le marché des Îles Caïman, le garant et agent payeur BNP Paribas. « Le retard du paiement d’échéance a été conditionné par le fait que nous avons été confrontés à des difficultés dans le recouvrement de créances. Baghlan Group est de nouveau capable de faire face à sa dette », se justifie-t-il. Il signale avoir assumé une partie de la dette (7933500 $ – 5,914 M€ – le 7 mars 2014) et promet le reste « rapidement ». Ce qui n’est pas le cas.
4. Un manque de liquidités
Rien n’est réglé, nous indique un communiqué du 23 juillet 2014 de Greenfields, le partenaire de Baghlan dans l’affaire de la mer Caspienne. Sa filiale, Greenfields Petroleum International Corporation (GPIC), déclare avoir versé « environ 16,5 millions de dollars (sur 21 désormais) pour faire face au défaut de son coactionnaire dans Bahar Energy ltd depuis le 1er janvier 2014 ».
John W Harkins, président de Greenfields, se montre « déçu que Baghlan se soit montré incapable de financer sa part du projet Bahar ». Hafiz Mammadov a donc une nouvelle dette de 16,5 M$ – 12,3M€ (avec un intérêt de 4 % d’ailleurs)… On comprend que dans ce marasme, il ait d’autres chats à fouetter que le RC Lens et que chaque million compte pour refaire surface. Ce trou est-il passager ou correspond-il à une disgrâce ?
5. Soucis à Bank of Azerbaijan
La fameuse Bank of Azerbaijan, qui appartient à des membres de la famille d’Hafiz Mammadov (ses fils Kanan et Sanan, son frère Mubariz), souffre également d’un manque de liquidités depuis la même époque, sans qu’on puisse faire le lien, et malgré une recapitalisation. La Banque centrale d’Azerbaïdjan a dû intervenir en mai, après des plaintes de clients incapables de retirer de l’argent de leurs comptes. Or c’est elle qui devait apporter les financements, 10, puis 4 millions d’euros au RC Lens…
Que venait donc faire cet Azéri à Lens ?
Au cœur du bassin minier, c’était donc presque un exploit de vendre les terrils du 11/19 comme la tour Eiffel ou la corniche de Monte-Carlo ?
L’histoire officielle raconte que Gervais Martel entend parler par hasard de Hafiz Mammadov dès 2012. Le président lensois (qui ne l’est plus depuis quelques semaines mais envisage de le redevenir rapidement) contacte un ami, loueur de yachts. L’homme poireaute dans la villa du milliardaire azerbaïdjanais sur la Côte d’Azur. Son richissime client préfère regarder la fin d’un match de football à la télévision. Martel rencontre Hafiz Mammadov un peu plus tard, à Cannes : il lui vend un public en or, le titre de 1998, une demi-finale de la Coupe de l’UEFA (2000) qui s’achève les armes à la main contre Arsenal. Mammadov écoute. On parle d’une histoire humaine. On promet de se revoir.
Martel met alors le paquet pour séduire l’homme d’affaires jusque dans son pays. Il s’annonce avec quelques fidèles dont Jean-Pierre Papin qui joue les ambassadeurs du club. Ballon d’or à la main. « Mammadov était scotché de me voir », témoigne l’ancien attaquant.
Fier de l’intérêt qu’il suscite, l’Azerbaïdjanais est mandaté par son gouvernement pour véhiculer l’image de son pays à l’étranger. Ce n’est pas gagné. C’est aussi un amateur d’art qui rêve d’ouvrir une antenne du Louvre à Bakou. En novembre 2013, Mammadov fait d’ailleurs ouvrir le Louvre-Lens (entre 22heures et minuit) pour une visite privée avec quelques pontes politiques locaux dont le président du conseil régional, Daniel Percheron. On flatte alors le bienfaiteur du Racing reçu presque comme un chef d’État. Il aurait eu tort de s’en priver. FRÉDÉRIC RETSIN
Publié le 09/08/2014
PAR OLIVIER BERGER - PHOTOS JOHAN BEN AZZOUZ
Réagir
Envoyer par e-mail
Le journal du jour à partir de 0,79 €
Hafiz Mammadov a longtemps prospéré à l’ombre du pouvoir en Azerbaïdjan, 127e pays sur 177 à l’index de la corruption de Financial Transparency. Il a bâti depuis 1998 un conglomérat, Baghlan Group, qui rayonne dans le pétrole, le gaz mais aussi dans les transports (trains, taxis, bus), les travaux publics… Seulement, l’homme apparaît plus fragile que prévu, comme le soulignent ses actuelles difficultés financières. Passagères ?
Mammadov-JohanBenAzzouz.jpg
Imprimer
- A +
A lire aussi :
RC Lens : chronologie d’une descente aux enfers
1. Manne en mer Caspienne
En 2010, Hafiz Mammadov monte avec deux partenaires un énorme projet d’exploitation des champs pétroliers de Gum Deniz (4,5 millions de tonnes) et gaziers de Bahar (entre 18 et 25 milliards de mètres cubes) en mer Caspienne. Baghlan Group FZCO fonde une société partagée avec Greenfields Petroleum Corporation de Houston et Rafi Oil FZE de Bakou. Bahar Energy Limited (BEL), enregistrée à Dubaï, comptera sur 80 % des revenus, SOCAR, la société pétrolière d’État, 20 %.
Quand Rafi Oil se retire du projet en avril 2012, Baghlan Group Limited (la holding d’Hafiz Mammadov basée sur la zone franche Jebel Ali à Dubaï) fonce sur l’opportunité de racheter 33,33 % des parts pour 150 millions de dollars (112 M€). Mammadov a-t-il présumé de sa puissance, de ses ressources et de ses liquidités ?
2. Un emprunt risqué de 150 M$.
Sa filiale, Baghlan Group FZCO (dont le site Internet est curieusement en dérangement depuis peu), contracte un emprunt obligataire de 150 M$ le 27 juin 2012 à un taux hors norme de 14,75 % et une échéance rapide à trois ans (27 juin 2015). Ce produit risqué est contracté auprès d’Aquarius investments Luxembourg sur le marché des obligations des Îles Caïman. Il est suivi et garanti (bookrunning dans le jargon) par BNP Paribas et Pasha Bank (de la puissante famille Pashayev, nom de jeune fille de Mehriban Aliyeva, l’épouse du président de la République depuis 2003, Ilham Aliyev).
Le taux est usuraire, la confiance ne règne pas à l’évidence mais les soutiens restent solides…
3. Le défaut de décembre
Le 27 décembre 2013, Baghlan Group fait défaut à l’une des quatre échéances annuelles de l’emprunt, 19 M$ (18 871 875 $ exactement soit 14,06M€). On ne l’apprend que le 2 avril 2014 quand l’agence de notation Fitch dégrade soudain la note du groupe de Mammadov, de B à l’infamant RD (restricted default), cessant même sa notation. Au secours !
Peu avant, le 12 mars 2014, un courrier signé d’Hafiz Mammadov, président du conseil d’administration de Baghlan Group FZCO, tente de rassurer le marché des Îles Caïman, le garant et agent payeur BNP Paribas. « Le retard du paiement d’échéance a été conditionné par le fait que nous avons été confrontés à des difficultés dans le recouvrement de créances. Baghlan Group est de nouveau capable de faire face à sa dette », se justifie-t-il. Il signale avoir assumé une partie de la dette (7933500 $ – 5,914 M€ – le 7 mars 2014) et promet le reste « rapidement ». Ce qui n’est pas le cas.
4. Un manque de liquidités
Rien n’est réglé, nous indique un communiqué du 23 juillet 2014 de Greenfields, le partenaire de Baghlan dans l’affaire de la mer Caspienne. Sa filiale, Greenfields Petroleum International Corporation (GPIC), déclare avoir versé « environ 16,5 millions de dollars (sur 21 désormais) pour faire face au défaut de son coactionnaire dans Bahar Energy ltd depuis le 1er janvier 2014 ».
John W Harkins, président de Greenfields, se montre « déçu que Baghlan se soit montré incapable de financer sa part du projet Bahar ». Hafiz Mammadov a donc une nouvelle dette de 16,5 M$ – 12,3M€ (avec un intérêt de 4 % d’ailleurs)… On comprend que dans ce marasme, il ait d’autres chats à fouetter que le RC Lens et que chaque million compte pour refaire surface. Ce trou est-il passager ou correspond-il à une disgrâce ?
5. Soucis à Bank of Azerbaijan
La fameuse Bank of Azerbaijan, qui appartient à des membres de la famille d’Hafiz Mammadov (ses fils Kanan et Sanan, son frère Mubariz), souffre également d’un manque de liquidités depuis la même époque, sans qu’on puisse faire le lien, et malgré une recapitalisation. La Banque centrale d’Azerbaïdjan a dû intervenir en mai, après des plaintes de clients incapables de retirer de l’argent de leurs comptes. Or c’est elle qui devait apporter les financements, 10, puis 4 millions d’euros au RC Lens…
Que venait donc faire cet Azéri à Lens ?
Au cœur du bassin minier, c’était donc presque un exploit de vendre les terrils du 11/19 comme la tour Eiffel ou la corniche de Monte-Carlo ?
L’histoire officielle raconte que Gervais Martel entend parler par hasard de Hafiz Mammadov dès 2012. Le président lensois (qui ne l’est plus depuis quelques semaines mais envisage de le redevenir rapidement) contacte un ami, loueur de yachts. L’homme poireaute dans la villa du milliardaire azerbaïdjanais sur la Côte d’Azur. Son richissime client préfère regarder la fin d’un match de football à la télévision. Martel rencontre Hafiz Mammadov un peu plus tard, à Cannes : il lui vend un public en or, le titre de 1998, une demi-finale de la Coupe de l’UEFA (2000) qui s’achève les armes à la main contre Arsenal. Mammadov écoute. On parle d’une histoire humaine. On promet de se revoir.
Martel met alors le paquet pour séduire l’homme d’affaires jusque dans son pays. Il s’annonce avec quelques fidèles dont Jean-Pierre Papin qui joue les ambassadeurs du club. Ballon d’or à la main. « Mammadov était scotché de me voir », témoigne l’ancien attaquant.
Fier de l’intérêt qu’il suscite, l’Azerbaïdjanais est mandaté par son gouvernement pour véhiculer l’image de son pays à l’étranger. Ce n’est pas gagné. C’est aussi un amateur d’art qui rêve d’ouvrir une antenne du Louvre à Bakou. En novembre 2013, Mammadov fait d’ailleurs ouvrir le Louvre-Lens (entre 22heures et minuit) pour une visite privée avec quelques pontes politiques locaux dont le président du conseil régional, Daniel Percheron. On flatte alors le bienfaiteur du Racing reçu presque comme un chef d’État. Il aurait eu tort de s’en priver. FRÉDÉRIC RETSIN